La Tempête

Une aventure de ma tante Valérie

Quand ma tante Valérie a acheté son premier cheval, une jument nommée Lulu, elle avait 26 ans et monté en selle cinq ou six fois seulement dans sa vie. Elle n'avait pas pris de cours d'équitation non plus. Mais elle savait depuis qu'elle était toute petite qu'elle aurait un cheval. Il y a des choses comme ça qu'on sait depuis toujours, depuis aussi longtemps qu'on peut se souvenir.

Mais tante Valérie, quand elle était petite, rêvait d'avoir un grand cheval noir très élancé et rapide. Elle a fini par acheter Lulu, une petite jument rousse très ronde (mais très rapide). Il arrive que la réalité ne corresponde plus à nos rêves quand vient le moment de les réaliser.

Au début, Lulu et ma tante se disputaient beaucoup pour des détails plus ou moins importants comme dans quelle direction aller et à quelle vitesse. Lulu voulait toujours aller vers l'écurie (même quand elle était encore dedans) et avait deux vitesses : très lent (lorsqu'on s'éloignait de l'écurie) et très rapide (lorsqu'on retournait vers l'écurie).

Ma tante Valérie fut aussi très déçue de s'apercevoir que les chevaux étaient moins intelligents que les chiens et se montraient parfois, n'ayons pas peur des mots, carrément stupides. Autre déception majeure : lorsqu'ils décident de se montrer intelligents, les chevaux le font souvent pour faire des méchants coups et rire de leurs maîtres.

André et Blackie

Tout ceci pour en venir au fait que ma tante avait acheté Lulu le 3 mars 1988 et qu'elle l'aurait revendue autour du 5 septembre de la même année n'eût été du vieil André. Le vieil André Bérubé, surnommé Bill Miner pour une raison qui reste nébuleuse encore à ce jour, était un vrai cow-boy. Il avait, à l'époque, une grande jument noire nommée Black Velvet, Blackie pour les intimes. Blackie était aussi belle que les chevaux de la Gendarmerie royale du Canada (tu te rappelles les cartes postales que ma tante t'envoie lorsqu'elle part en voyage, quelle que soit sa destination ? Pas celles avec des Indiens ou des calèches à Montréal, les autres), mais elle avait une belle tête de cochon. Ça veut dire qu'elle avait une tête de mule, bon, c'est une façon de dire les choses, car sa tête était vraiment celle d'un cheval.




La spécialité de Blackie, à part être belle, était de refuser de passer dans les trous d'eau, ce qui était souvent un problème dans les bois et les champs en Abitibi et au Témiscamingue, car il y a là abondance de trous d'eau de toutes formes et grandeurs.

Fait intéressant : les chevaux ont peur de façon absurde de toutes sortes de choses. Les sacs à poubelles, le dallage des entrées de garage, etc. Lulu, pour sa part, avait peur des pièces de machinerie agricole vertes (malheureusement, elles sont pour la plupart de cette couleur-là) ainsi que des perdrix, de quelque couleur qu'elles soient.

Pour en revenir à André, c'est lui qui montra à ma tante la plupart des choses que l'on doit savoir pour monter à cheval, à commencer par quel bout du cheval est la queue, et quel autre la tête. Lorsqu'elle se promenait sur Lulu dans les bois avec André et Blackie, ma tante enrageait fréquemment contre Lulu et la traitait de " plus grosse dinde du Témiscamingue " ce qui, admettons-le, n'est pas très gentil, en plus d'être inexact.

Or, un dimanche de décembre, ma tante eut la preuve que Lulu n'était pas si dinde que ça. Elle était partie de l'écurie depuis une heure avec André quand un blizzard terrible se leva subitement. On ne voyait ni ciel ni terre, la neige et le vent avaient effacé les traces des chevaux. Ma tante Valérie ne voyait rien au-delà du museau de Lulu. Elle ne distinguait plus la piste du retour et se trouvait donc complètement perdue. C'est beau quand on est dans la maison, une tempête de neige, mais quand on est perdue dedans, c'est une autre histoire. Ma tante était pas mal inquiète et ne savait plus trop quoi faire.

Alors André, qui était derrière elle à la sortie du sentier, lui a dit : " Lâche les guides et Lulu va retrouver toute seule le chemin de l'écurie. " Ma tante n'y croyait pas trop, mais hé ?, que pouvait-elle faire d¹autre ? Sûrement pas descendre de cheval et tenter de revenir à pied. Il est de notoriété publique que ma tante n¹a aucun sens de l'orientation (ce qui est embêtant pour quelqu'un qui aime se promener dans les bois). Ma tante a donc lâché les guides (les cordons de cuir avec lesquels un cow-boy dirige son cheval), et Lulu s'est mise à marche dans la neige vaillamment malgré le vent et la neige qui piquaient comme des aiguilles. Au bout d'une demi-heure, on aperçut la silhouette de l'écurie à travers deux bourrasques. Blackie et André suivaient derrière.

Tout le monde était content de se retrouver au chaud dans l'écurie. On a rassuré mon oncle Joël qui se demandait s'il ne devait pas appeler la police pour leur demander de retrouver ma tante (ce qui n'aurait pas été très utile car eux aussi se seraient perdus dans la tempête).

À partir de ce jour-là, tant Valérie a eu beaucoup plus de respect pour Lulu et l'a traitée moins souvent de " grosse dinde ". Elle s'est aussi souvenue d'écouter la météo avant de partir dans les bois l'hiver. Même l'été, il lui est arrivé de se perdre à cheval dans les bois lorsqu'André n'était pas avec elle, et Lulu a toujours retrouvé le chemin de l'écurie, en particulier si c'était l'heure de la moulée (les chevaux mangent du foin et la moulée, une sorte de Cheerios pour chevaux, et Lulu était reconnue pour être la plus " saf " des onze chevaux de l'écurie).

ma tante Valérie


Valérie et Lulu
  
    Michel et Lulu                     André et Blackie

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