A quand remonte ta passion pour l'imaginaire, à l'enfance ou plus tard, et sous quelle forme, quelles œuvres, pour la jeunesse ou non, ont les premières retenu ton attention en ce domaine ?

Je suis né en 1957. Durant ma jeunesse, on passait à la télévision des films d'horreur, américains, anglais, italiens ou japonais le samedi matin et parfois à l'heure du souper le vendredi. Sans parler des séries télévisées qui avaient dans leurs scénarios des monstres et des extraterrestres, comme The Outer Limits (Au delà du réel) ou Lost in Space (Perdus dans l'espace). Donc, très jeune, on était dans une époque ou l'horreur et la science fiction, à la télévision et au cinéma, était abondante et variée. Je regardais tout ce qui passait avec passion.

 

Comment t'es venue l'idée de créer le Club des monstres il y a 22 ans et as tu formé rapidement une équipe autour de toi ou bien des contributeurs habituels t'ont ils rejoint par la suite à distance ?

Avec deux amis on se faisait des après-midi de visionnements de films de monstres classiques. On se surnommait, sans prétention, le Club des Monstres et nous avons aussi sortis quelques numéros d'un petit fanzine du même nom. On a lancé l'idée d'un site internet dans une de nos discussions animées et j'ai relevé le défi de monter un site internet. Le lancement a été difficile et j'ai apprit au fur et à mesure comment dompter la bête. J'ai invité des gens que j'avais rencontrés sur des forums à participer avec leurs chroniques de films. Idem pour le reste du site, spécialement  le bestiaire. Aujourd'hui, des années plus tard, nous sommes moins nombreux à participer, mais je tiens le bateau. Tous les collaborateurs étaient à distance, principalement du Québec et de la France.

Le titre est-il une allusion au film d'épouvante à sketchs homonyme ?

Oui, c'est difficile de cacher l'influence!

 

Tes activités professionnelles de projectionniste qui ont pris fin tout récemment t'ont permis de rencontrer d'autres passionnés, de proposer des évènements en conviant des personnalités du cinéma. Quelles sont celles qui t'ont le plus marqué, voire celles que tu aurais apprécié de croiser ?

J'ai rapidement correspondu avec d'autres mordus de cinéma de genre, toujours avec plaisir. J'ai eu il y a quelques années la surprise étonnante d'être contacté par quelqu'un qui a travaillé sur le tournage de The Creeping Terror, Jayne Dickinson, une musicienne charmante. J'ai aussi rencontré dans des congrès ou des festivals de nombreux acteurs et réalisateurs avec lesquels j'ai pu parfois échanger lors de conversations mémorables.

 

Y a-t-il un genre d'imaginaire qui a ta préférence, Merveilleux, Fantastique (Surnaturel), Science-Fiction, surréalisme à la Bunuel, psychédélisme à la Argento, "fantastique belge".. ?

 

À la base j'apprécie presque tous les genres, mais j'ai mes préférences pour l'horreur, le film de monstre et la science fiction. J'adore le cinéma de Dario Argento et Mario Bava, pratiquement le Giallo dans la plupart de ses déclinaisons, ayant depuis toujours un faible pour le cinéma Italien, très présent à la télévision chez nous durant ma jeunesse (Le Monstre aux Yeux Verts, Diabolik, La Planète des Vampires, Gungala). Je m'intéresse autant à l'histoire des genres, pouvant regarder des films des cent dernières années, du muet aux délires technologiques récents. J'avais la passion identique pour la bande dessinée durant ma jeunesse, m'intéressant autant à la naissance de la bande dessinée sans philactères et aux classiques de tous les pays disponibles, des comics books américains, des recueils du journal Tintin, Mickey, Pilote ou Spirou.

 

En dehors du cinéma, t'intéresses-tu particulièrement à d'autres modes d'expression de l'imaginaire, la littérature et les novélisations, les bandes dessinées, les séries télévisées comme The Twilight Zone, The Outer Limits, Les envahisseurs, Star Trek, X-Files . Et si tu lis assez régulièrement, quels sont les auteurs que tu apprécies le plus ?

Le cinéma d'horreur ayant souvent la particularité de ne pas s'offrir aux plus jeunes, c'est bien par la littérature et la télévision que je l'ai d'abord apprécié. Les séries télé mentionnées et bien d'autres: Les séries de Gerry Anderson, de la Fusée XL5 avec ses extraterrestres à Alerte dans l'espace et Cosmos 1999, les nombreuses séries américaines, sans oublier les séries européennes et japonaises. Je rattrape beaucoup de retards grâce à la Collection Les Inédits Fantastiques de INA. J'adore aussi les productions Danoises comme The Kingdom ou Jordskot. Je navigue au travers de l'explosion de séries de l'imaginaire offertes sur les canaux spécialisés et ses surprises sont  parfois jouissives.

Pour la littérature, j'ai longtemps lu les classiques, particulièrement dans la collection Marabout. J'ai un peu délaissé la science fiction au profit du polar ces dernières années. Ces derniers temps,  j'ai particulièrement adoré les romans d'Ariane Gélinas qui brode un fantastique inspiré par les légendes du Québec avec des influences du cinéma de genre. Européen. Mais j'ai évidemment lu les classiques de Lovecraft, H.G. Wells, Edgar Allan Poe autant que du Stephen King.

 

Quels sont tes films préférés, notamment dans le domaine de l'imaginaire ? Ceux que tu as pris plaisir à revoir un grand nombre de fois ? Et les réalisateurs que tu prises ?

Dans le film de monstres, pas mal tous les classiques avec une préférence pour Godzilla qui m'avait enchanté durant ma jeunesse et qui a été maintes fois été porté à l'écran. Tous les films de Dario Argento, particulièrement Profondo Rosso, tous les films de Mario Bava, William Friedkin, George Romero, les films de la Hammer, particulièrement The Abominable Snowman. La liste serait trop longue. Je suis un bon public et je parcours l'histoire du fantastique en long et en large avec un plaisir toujours renouvelé.

 

A l'inverse, y-a-t-il des films qui t'ont déçu, ou dont tu n'as pas aimé la fin - certain n'ont pas apprécié la fin de The Thing de Carpenter en l'estimant trop ambigue, d'autres à l'inverse en critiqué le happy end de Body Snatchers de Ferrara le jugeant plaqué et en décalage avec la noirceur de l'oeuvre ?

Hé oui, certains films ont des fins plus que décevantes, mais pas dans le cas de The Thing de Carpenter. Je n'ai rien contre les fins ouvertes, ou dramatiques, ne laissant  aucun personnage principal vivant à la tombée du rideau, comme Night of the Living Dead.  Je ne fais pas de liste de films qui m'ont déçu et j'ai tendance à les oublier rapidement.

 

 Tu as aussi créé un fanzine comportant tes dessins humoristiques. Estimes-tu que le comique a une place de plein droit dans le cinéma de l'imaginaire, ou bien est-ce que la tendance à la parodie qu'on observe dans certaines petites productions lorsqu'elle ne se limite pas à une petite touche ponctuelle, ne risque pas de nuire au climat de suggestion approprié pour amener le spectateur à adhérer à une fiction - certains ont ainsi reproché aux suites des Griffes de la nuit (Nightmare on Elm Street) de délaisser progressivement le registre de l'effroi pour pencher davantage vers la farce au fur et à mesure que le personnage malfaisant de Freddy Krueger versait dans un registre principalement sardonique.

J'adore la série initiale de Freddy. Je n'ai pas de reproche à priori contre l'humour, surtout noir. La série télévisée de Freddy Kruger y allait parfois dans l'humour trop généreux à mon goût, cependant. Mais j'adore Shaun of the Dead et si elles ne sont pas nombreuses, les réussites dans la comédie horrifique sont les bienvenus.

 

En France, on connaît peu les productions de l'imaginaire canadiennes, en dehors de la première période de la carrière de David Cronenberg, principalement de Frissons au Festin nu. - avec plus tardivement Existenz puis Crimes of the Future. On sait qu'il y a eu aussi des pulps au Canada, comme en Australie et en Angleterre, mais de bien plus faible notoriété qu'aux Etats-Unis d'Amérique. On dit le Canada moins attiré par le genre imaginaire à la notable exception de Cronenberg, et cela est aussi vrai pour le Québec dans le domaine de la production cinématographique. Est-ce que dans la ou les cultures francophones, l'imagination aurait plus de difficulté à se faire une place ? En France, l'ORTF (la chaîne unique d'État des origines) avait produit un certain nombre de fictions fantastiques qui pourraient certes paraître un peu surrannées à certains spectateurs contemporains, mais ne sont jamais rediffusées - il y a eu aussi l'échec commercial du film de science-fiction français Terminus avec des acteurs internationaux comme Karen Allen et Jurgen Prochnow qui a pu persuader de l'incapacité des Français à s'illustrer dans le genre, malgré des écrivains de qualité publiés par les éditions Fleuve noir, certains même reconnus comme Gérard Klein et Philippe Curval. Faut-il voir un manque d'audace qui bride les créateurs en matière d'audiovisuel sur le sujet, ou plus simplement un désintérêt pour tout ce qui ne colle pas directement aux petites misères du quotidien (on qualifie souvent le cinéma français de nombriliste, et on le dit aussi du québécois sauf erreur) ?

Depuis des années, le cinéma de genre est le parent pauvre du cinéma au Québec, au Canada ou en France. C'est entre autre beaucoup dû au mode de financement qui privilégie depuis trop longtemps les drames familiaux parfois insipides. L'époque des films de Cronenberg, Bob Clark, Ivan Reitman, Jean-Claude Lord ou plus récemment le film Les Affamés de Robin Aubert sont remarquables. Les pages sur le cinéma Canadien et Québécois sur mon site témoignent d'un foisonnement continuel. Idem pour la France ou la Francophonie qui nous offre à l'occasion des films plus que dignes de mention comme Martyrs de Pascal Laugier ou l'oeuvre de Jean Rollin.

En France, il y a eu il y a des années un magazine télévisé consacré à la science-fiction, Temps X, qui a été évoqué sur le blog ; existe-t-il, ou a-t-il existé, au Québec une émission télévisée comparable, ou bien trouve-t-on une évocation de ces univers dans des programmes plus généralistes (en France, le journaliste littéraire Bernard Pivot se targuait de ne pas recevoir d'auteurs de science-fiction dans sa célèbre émission Apostrophe) ?

Il n'y a pas, sauf sur internet, de série régulière sur les chaînes de grande écoute entièrement consacré aux genres qui nous intéressent. On parlera surtout des films basés sur des romans populaires comme ceux de Patrick Sénégal, maintes fois adapté au cinéma.

As-tu comme un certain nombre d'entre nous eu l'envie de réaliser des films. Si tu en avais la possibilité, quel en serait le ou les sujets, et éventuellement les approches ? Et y a-t-il des œuvres littéraires que tu aurais pu souhaiter adapter, voire des remakes dont tu rêverais ?

Il y a fort longtemps je me suis amusé à créer deux courts métrages en super 8 parodiant le cinéma de genre. On trouve encore La Terreur Crampante sur Youtube. Mais non, réaliser un film, en plus un film de genre, est plus que difficile. Ceci dit, beaucoup de réalisateurs indépendants oeuvrent  ou ont oeuvré dans le fantastique au Québec et particulièrement en Ontario.

 

Le Club des monstres recouvre à peu près le cinéma qu'on peu qualifier de divertissement, de la comédie légère à l'épouvante - Phil Hardy dans le volume de l'Aurum Encyclopedia consacré à la science-fiction va jusqu'à considérer ce genre comme indigent à la quasi-unique exception de 2001, L'Odyssée de l'espace. Avoir conçu le Bestiaire témoigne de ton intérêt pour les créatures par-delà le simple intitulé général du site. Quelle place représentent-elles pour toi, constituent-elles un point saillant du récit comme dans les péplums italiens et la saga de La Guerre des étoiles, participant du caractère picaresque de l'histoire en fournissant matière à rebondissements et étant constitutifs des éléments visuels singularisant un univers imaginaire, soit donc un attribut ayant pour principale raison d'être de participer à ce divertissement - qui ne mérite nécessairement pas le regard dévalorisant que certains lui portent, ou bien considères-tu qu'elles tendent souvent à avoir une fonction plus structurante dans le récit ou dans la conception d'une autre réalité à la manière de l'entité de Possession de Zulawski ?

Les créatures, dans le sens le plus large du thème, sont au coeur de l'imaginaire et représentent majoritairement l'expression de nos peurs. J'ai toujours regretté que la majorité des histoires se terminent part la destruction pure et simple de l'étranger, le monstre, l'extraterrestre, souvent par le feu, des sorcières à Frankenstein ou The Thing de Carpenter.

 

Sais-tu que c'est au Canada, plus exactement en Colombie britannique, qu'ont été initialement découverts les fossiles des animaux complexes les plus anciens, lesquels auraient largement pu inspirer les concepteurs du film Evolution et dont l'un a ouvertement servi de modèle à Greg Bear pour un extraterrestre du roman Eon, comme évoqué dans l'hommage qui lui a été ici consacré ? Ta passion pour les êtres les plus divers émargeant dans le Bestiaire t'amène-telle à porter quelque intérêt pour le monde vivant dont s'inspirent les êtres légendaires, à la manière des loups qui ont inspiré les loups-garous, ou pour toi, le monde animal et les êtres imaginaires sont deux domaines vraiment éloignés l'un de l'autre - les amis des animaux reprochant d'ailleurs au fantastique d'en donner des versions effrayantes, déformantes, comme Spielberg avec le requin des Dents de la mer ?

Évidemment que les créatures vivantes si banales ou étrange soient-elles m'intéressent. Je regardais beaucoup de documentaires animaliers durant ma jeunesse. Je trouve les deux types de créatures, réelles ou imaginaires tout aussi fascinantes. Je n'ais pas vu Evolution ou lit Eon, malheureusement.

 

 La science-fiction notamment dans les années 1970 a beaucoup attiré l'attention sur les périls environnementaux mais cela n'a-t-il pas été en pure perte vu que les décideurs semblent réticents à intégrer réellement les paramètres écologiques dont dépendent tant d'espèces, la nôtre incluse ? Est-ce que cela n'illustre pas les limites de la capacité de la fiction à interagir avec le monde réel en dépit de ses avertissements pertinents ?

Si les études scientifiques sont ignorées à ce point, les messages de catastrophes imminentes imaginaires, parfois inspiré par de tristes réalités, ont évidemment peu de chances d'inspirer des politiciens plus souvent fascinés par l'argent et le pouvoir et pas grand chose d'autre, malheureusement.

 

Est-ce que la fonction horrifique des monstres répond simplement au besoin des spectateurs d'éprouver des émotions fortes à un moment donné, ou bien est-ce qu'ils reflètent davantage les peurs de l'époque, de manière cathartique, selon toi, comme Joe Dante le suggère à propos de la menace atomique dans Panic à Florida Beach (Matinee) ? On a parfois voulu voir dans la version originale de Nosferatu une préfiguration de l'émergence de forces de destruction qui allaient renverser la République de Weimar et finir par amener le Chaos en Europe, mais les films fantastiques réalisés durant la Seconde Guerre mondiale n'y font guère allusion à part de manière marginale en 1943 dans The Return of the Vampire de Paul Landres. Autrement dit, est-ce que pour toi, les créatures sont une donnée fixe, relativement constante, de l'univers cinématographique ou bien nous disent-elles quelque chose de plus spécifique à chaque époque ?

 

Probablement les deux. Cela dépend des réalisateurs et des scénaristes. Si King Kong relève de la fascination pour l'exotisme et les contrées alors peu connues, beaucoup de films ne cachent pas leurs origines dans la peur des bombes atomiques, de la science hors de contrôle ou des désastres écologiques à venir.

Est-ce qu'on ne pourrait pas considérer qu'une partie du Fantastique essaie finalement de dédouaner l'être humain de ses mauvais penchants en les transférant vers une altérité menaçante, un peu à la manière des procès en sorcellerie de la Renaissance qui cherchaient à identifier le démon ? Beaucoup de films, comme ceux qui mettent en scène des loups-garous et autres hommes-bêtes comme dans La nuit déchirée (Sleepwalkers) réalisée en 1992 par Mick Garris d'après un scénario de Stephen King ou encore dans une certaine mesure les sociétés de vampires comme dans Aux frontières de l'aube de Kathryn Bigelow, Retour à Salem de Larry Cohen ou encore Vampires de John Carpenter, mettent en évidence une césure nette entre les humains et des créatures plus ou moins animalisées qui incarnent la brutalité, la férocité, l'absence de toute morale judéo-chrétienne capable d'entraver l'action, comme le dit avec admiration l'androïde Ash dans Alien au sujet du monstre extraterrestre. H.P. Lovecraft - même si dans la réalité, il adhérait à une vision purement matérialiste du monde - laissait entendre dans ses nouvelles fantasmagoriques comme L'appel de Cthulhu, de même que d'autres auteurs comme Colin Wilson avec Les parasites de l'esprit, que les pires perversions de l'homme pourraient être suscitées de manière exogène par l'influence de créatures effrayantes venues de l'espace, à l'instar du Diable au Moyen-âge actif pour corrompre les hommes, comme si les pires crimes, à l'image de ceux du sataniste Charles Manson comme de l'assassin de sa famille dans la demeure dite maudite d'Amityville ayant inspiré plusieurs films, ne pouvaient trouver leurs origines qu'à l'extérieur de notre espèce. Est-ce que finalement, l'auteur de fantastique n'est pas un optimiste contrarié, là ou celui qui écrit des récits policiers, comme le scénariste de la série allemande Inspecteur Derrick au ton souvent très sombre, envisage le réel sans fard, montrant la froideur et le cynisme des individus dans leur réalité la plus crue, celle qui s'illustre quotidiennement dans les faits divers ?

Le récent film L'Exorciste du Pape de Julius Avery a eu l'audace de mettre sur le dos de Satan tous les péchés de l'inquisition espagnole. J'ai trouvé l'idée horripilante de dédouaner aussi facilement l'église de l'époque. Dans La Nuit des Morts Vivants de George Romero, version originale de 1968,  les humains qui déciment allègrement les zombies sont filmés comme si c'était eux les monstres, en fin de film et durant le générique final. Alors, oui, le monstre peut servir d'avertissement à peine voilé pour dénoncer les travers de l'humanité ou les dangers d'une science hors de contrôle. Les sorcières dépeintes dans les ouvrages et les films les plus anciens ont des allures de créatures qui provoquent le dégout. La laideur, dans sa plus simple fonction dramatique, est souvent porteuse du mal qu'il faut détruire. Personnellement, comme beaucoup de spectateurs, je me suis plus identifié au monstre de Frankenstein qu'à son créateur dément. On passe aussi ce message parfois, le créateur est plus monstrueux que la créature. 

Traditionnellement, il y a d'ailleurs un paradoxe ; d'un côté, on stigmatise souvent l'imaginaire, non seulement supposé un peu puéril comme Phil Hardy, reposant sur des émotions simplistes, sur l'exagération et l'exacerbation des sentiments, voire sur le grotesque servi notamment par les maquillages époustouflants des années 1980 jusque dans les petites productions cinématographiques, et on prétend même que les amateurs de films d'épouvante témoigneraient de penchants malsains, culminant dans le sous-genre explicite du "gore" qui alimenterait le sadisme latent (au Canada, Cronenberg a d'ailleurs fait l'objet d'attaques féministes violentes à son encontre postulant un lien douteux avec un crime de masse commis contre des étudiantes) ; de l'autre, les milieux culturels se piquent d'aimer la corrida, un spectacle qui repose sur la mise à mort non simulée d'un animal, ce qui témoigne en l'occurrence d'une vraie cruauté à l'encontre d'un être capable d'éprouver la souffrance. Est-ce que, au contraire, comme le laisse entendre Stephen King, voire John Carpenter, les amateurs de cinéma fantastique, du moins une majorité de ceux qui apprécient ces échappatoires du réel, ne tendraient pas à être peut-être davantage sensibles que la moyenne et justement à se projeter dans la symbolique de l'imaginaire comme catharsis pour exorciser un mal-être engendré par un quotidien souvent décevant et parfois même éprouvant et conjurer par ce biais l'angoisse que suscite un monde incertain dans lequel règne trop souvent le Mal ?

Naturellement je pencherais plus vers les conclusions de King et Carpenter, même si l'un et l'autre finissent souvent, mais pas exclusivement, leurs histoires par la défaite de l,'autre, la créature, le vampire, le monstre.

 

En ce sens, n'y a-t-il pas une ambivalence du monstre ? Au départ, le singe géant de King Kong effraie, c'est une force de destruction sauvage que rien ne paraît pouvoir entraver mais lorsque les autorités en viennent finalement à bout et qu'il s'écrase sur le sol, nous finissons par ressentir quelque compassion à l'endroit d'un être hors-norme auquel ne s'offrait pas d'autre sort que l'anéantissement. Initialement, nous voudrions être rassurés en pensant que que nous sommes de parfaits citoyens se situant dans la normalité, puis, au fur et à mesure du récit, il arrive qu'à l'instar de Gregor Samsa dans la nouvelle La métamorphose de Franz Kafka qui perd son identité d'homme pour devenir un cafard géant, nous nous laissions gagner par le doute, nous identifiant à l'être différent en en ressentant la souffrance, partageant la solitude du phénomène humain connu sous le surnom d'Elephant Man, le sentiment d'irréductible égarement d'E.T. L'extraterrestre loin de sa planète d'origine, la claustration du fils malformé dans Les Goonies, l'impossibilité d'être aimé ressenti par le gorille de King Kong, notamment dans le remake de 1976 qui lui prête quelque sensibilité, et le Bossu Quasimodo de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo plusieurs fois porté à l'écran et incarné par de grands acteurs comme Charles Laughton, Anthony Quinn ou encore Anthony Hopkins. Est-ce que, par un raccourci étonnant, le monstre au travers de sa polysémie intrinsèque ne tend-t-il pas parfois, à rebours de ce qu'on se représente spontanément, à incarner ce qu'il y a de meilleur en l'homme, son souhait de trouver sa juste place en ce monde, d'être habilité à établir avec autrui une reconnaissance mutuelle, à susciter la compassion et l'empathie pour tout ce qui vit ? Le monstre, héraut de l'incommunicabilité ?

Dans les meilleurs romans et films, oui, le monstre est souvent plus humain que les humains. Mais depuis fort longtemps, il y a aussi l'Alien, L'Étranger, comme dans le film de Ridley Scott, qui est une pure représentation du mal primaire et sans émotions. On est loin de la Créature du Lagon Noir qui tombait simplement amoureux de la belle femme qui se promenait dans ses eaux à lui.

Les créatures de cinéma furent, notamment dans les années 1980, apothéose des effets spéciaux organiques, créées de manière concrète, les descriptions, dessins de production puis maquettes conceptuelles finalement convertis en modèles réduits ou grandeur nature, dotés d'une armature articulée constituant leur squelette interne, de câbles ou d'un système radiocommandé faisant office de système nerveux, le latex, la silicone ou la plastiline les recouvrant comme un vrai épiderme, leur texture mise naturellement en valeur par le soin des éclairages nous convaincant de leur réalité tangible. La généralisation des images infographiques a engendré un cinéma de nature différente, dématérialisé, dans lequel les créatures tendent à l'abstraction, le cinéma actuel n'utilisant plus ni décors ni vrais effets spéciaux, tout étant filmé sur fond vert et ajouté à la palette graphique comme pour Avatar et Le Hobbit - rendant d'ailleurs inintéressants les tournages dont rendaient auparavant compte d'excellents articles et reportages filmés, et finalement donnant une impression d'interchangeabilité dans les univers dépeints qui paraissaient jadis plus spécifiques. Le maquilleur Rick Baker estimait que son art survivrait à ces innovations, mais après les peintures sur verre figurant les arrière-plans, les vaisseaux spatiaux et les créatures mécanisées géantes, ce sont les maquillages eux-mêmes qui ont été supplantés comme dans la dernière version de La Belle et la Bête, et ayant pu vérifier que la prétendue complémentarité des techniques n'était qu'un leurre, ce créateur a fermé son studio alors qu'il obtenait une étoile sur Hollywood Boulevard ! Il existe quelques tentatives grâce au financement participatif, Harbinger Down initié par le studio ADI/Amalgamated Dynamics, Remote Viewing réalisé par l'illustrateur Jordu Schell ou encore Planet Earth porté par l'animateur image par image Peter Montgomery, mais ces initiatives trouvent peu d'écho sauf auprès de ceux qui ont connu et apprécié les véritables effets spéciaux des décennies précédentes. Penses-tu qu'il s'agit là de la queue de la comète, d'un ultime baroud d'honneur, ou qu'il existe un espoir raisonnable que le Bestiaire du Club des monstres puisse à nouveau s'enrichir de monstres réellement construits dans des studios par les héritiers des magiciens qui nous ont fait rêver comme Rick Baker, Stan Winston et Rob Bottin avant qu'on ne les congédie sans ménagement ?

Il y a encore quelques irréductibles qui préfèrent envers et contre tous, les créatures construites en réel. Ils sont certes peu nombreux, mais fort appréciés. Ce sont évidemment mes  préférées, ou parfois comme dans le récent Shin Godzila le mélange de costumes traditionnels retravaillés digitalement sont capables de me berner. On pense alors au Jurassic Park, le premier de Spielberg, avec son mélange de création digitale, ses spécialistes de l'animation image par image et ses parties construites en  réel, donnent d'excellents résultats. Malheureusement une grande partie de l'industrie a cru que l'on pouvait maintenant tout faire dans un ordinateur. Les résultats sont régulièrement navrants. 

- Quelles sont les créatures que tu trouves les plus marquantes, intéressantes, par type ou catégorie (merveilleux, surnaturel, mutant, extraterrestre; etc...)

Je vais effleurer le sujet, là aussi il y aurait tant à dire. Durant les années 60, j'ai vu beaucoup de films de créatures à la télévision et au cinéma. Si je n'étais pas friand de vampires, trop humains à mon goût à cette époque, je préférais les vrais monstres. Les Frankenstein, Loup-Garous ou la superbe Créature from The Black Lagoon. Voir Godzilla sur petit et grand écran était merveilleux. J'ai regardé à de multiples reprises les séries télévisées The Outer Limits et les séries d'irwin Allen avec leur multiples monstres. Caltiqui Monstre immortel m'avait grandement marqué. La vue des yeux dans la dernière minute d'une créature des neiges m'a fascinée pendant des années et j'ai finalement vu The Abominable Snowman, superbe. 

- Celles qui te paraissent la plus effrayante et la plus émouvante ?

Je suis encore fasciné par les deux films de Clive Barker et ses créatures dans Hellraiser et Nightbreed. Les monstres de Cloverfield, The Host, les créations de David Lynch, les zombies de George Romero et  Lucio Fulci, les fantômes et légendes urbaines de Koji Shiraishi. Je pourrais continuer longtemps encore. C'est l'univers des créatures et des monstres dans sa totalité et sa diversité qui m'intéresse et me passionne.  

- considères-tu que que la musique d'un film fait partie d'un ensemble participant de l'atmosphère du film ou t'arrive-t-il de lui prêter plus particulièrement attention ? Et si c''est le cas, quelles musiques t'ont le plus marqué et as-tu un compositeur préféré ?

Un ami m'a initié à l'écoute de trames sonore il y a presque cinquante ans. Depuis, je suis amateur de trames sonores et je les collectionne. Les musique du groupe Goblin, de John Williams (de Lost in Space à Jaws, Star Wars et tant d'autres), en passant par Alain Goraguer pour la Planète Sauvage, Ennio Morricone, John Carpenter, Fabio Frizzi, Akira Ifukube et tant d'autres. Oui c'est essentiel et c'est partie prenante d'un bon film ou d'une bonne série télévisée.

- Je viens de découvrir qu'au Québec a été produit la série télévisée Electric Dreams, inspirée par des récits de l'écrivain Philip Dick, comme la célèbre nouvelle Le Père truqué (Father-Thing). Celui-ci est-il particulièrement apprécié au Québec, et as-tu eu l'occasion de voir certains épisodes ?

Malheureusement non.