Comment le Grinch sauva plusieurs de mes Noëls...

Petit hommage au Dr Seuss

J'avais douze ans lorsque je fis connaissance avec le Grinch. Je gardais chez nos voisins anglophones, les Roberston, un soir de décembre.  La petite Deborah avait droit à une émission de télé avant son dodo.  Le réseau anglais présentait le vieux dessin animé de Chuck Jones, tiré de l'oeuvre du Dr Seuss " How the Grinch stole Christmas ".  Si la fillette de 5 ans connaissait déjà les paroles par coeur, j'étais pour ma part novice à l'univers du bon Docteur...

  Ce fut le coup de foudre!!!  La voix basse et chaude de Boris Karloff, les paroles d'un humour absurde et délicieux, le Grinch vert-mousse, grognon et migraineux:  tout me charma.  Je l'ai pourtant vu souvent par la suite dans les journaux, le Grinch, caricaturé à l'image de politiciens grippe-sous ayant eu la mauvaise idée de voter des coupures impopulaires au début de décembre...

  Cependant, c'est un bon diable, le Grinch:  après avoir volé toutes les décorations de Whoville, il se prépare à jeter le tout en bas d'un pic enneigé...  Et se ravise en entendant un joli chant de Noël aux paroles plus ou moins sensées.  Son coeur sec triple de taille et il décide de rendre parures, cadeaux et victuailles aux habitants de la petite ville, qui l'invitent à la fête ( ceux qui connaissent le Grinch savent qu'il vaut mieux être poli avec lui ).  Il distribuera les étrennes et aura l'honneur de couper le rôti de Noël, festif comme jamais, et enfin gentil avec son brave petit chien Max...

  J'ai dû attendre le Noël suivant pour connaitre moi aussi les paroles des chansons par coeur.  Dans ce temps-là, les ti-zenfants, il n'y avait ni Blu-Ray, ni ordinateur, ni DVD, ni cassette VHS ou Beta.  Si on voulait revoir une émission ou un film, il fallait attendre...   Que ça repasse à la télé!!!  En plus, on n'avait que quatre postes:  Radio-Canada, Télé-4 ( le poste des films de lutteurs mexicains et de monstres japonais le samedi matin), le poste anglais...  Et Télé-Québec à partir de mon adolescence ( Ah!  Les films du Temps des Fêtes à Télé-Québec!!! ).

  Je ne vous mens pas, les petits crapauds:  Matante Valérie est aussi vieille que ça.  Et encore, je ne vous ai pas parlé des films adorés qu'on allait voir et revoir sur des chaises dures et frettes, dans les sous-sols d'églises ou les gymnases d'écoles...  Moi qui me tappe douze fois minimum mes films préférés, je n'aurais jamais osé rêver, jeune, de pouvoir écouter ces mêmes films où je veux, quand je veux et de revoir les bouts avec le tyrannosaure quinze fois d'affilée.

  L'automne suivant, j'avais renoué avec le Grinch en regardant "Halloween's night is Grinch Night!".  Je me suis toujours méfiée par la suite du "Sweet and Sour Wind", ce vent mauvais d'automne qui annonce l'arrivée à Whoville du Grinch et de son chariot rempli de créatures malveillantes et un peu épeurantes, public juvénile oblige.

  Mais l'histoire du Noël du Grinch restait ma favorite.  En décembre, je surveillais dans le guide télé toutes les apparitions du grand grognon vert.  Au fil des années, de plus en plus de postes anglophones étaient à notre disposition, donc mon frère et moi pouvions revoir le Grinch à l'oeuvre deux ou trois fois par saison hivernale.  Il était pour moi un vieil ami que l'on rencontre à chaque période de l'Avent.

  De toute façon, à Noël, j'ai toujours préféré l'Avant.  Les cartes de Noël arrivant une derrière l'autre, parfois trois ou quatre la même journée...  Aussitôt arrivées, aussitôt répondues!  Les annonces de films de Noël dans Le Soleil, la musique des Fêtes partout; les décorations de Noël sorties trop tard au goût de mon frère et moi, trop tôt au goût de mes parents, en particulier l'Autre Grinch, celui-qui-ne-peut-pas-endurer-un-objet-pas-à-sa-place...  Car il y avait un autre Grinch chez nous:  un Grinch obsessif-compulsif qui refusait de se soigner.  Les troubles de personnalité ne se reconnaissent habituellement pas de problèmes: ce sont les autres autour d'eux qui souffrent de leur folie.  La colère explosive et plus souvent qu'autrement non-provoquée de mon père a gâché plus d'un Noël chez nous.

  Notre Grinch pouvait décider sur un dix cents que ses enfants ne méritaient pas de cadeaux cette année-là.  Le 26 ou le 27 décembre, gêné de voir que nous avions des cadeaux pour lui, il nous remettait un chèque.  J'allais le dépenser pendant les ventes, mais la petite poque sur le coeur restait sensible plus longtemps que les soldes d'après-Fêtes...  J'étais une bonne fille.  Je méritais des cadeaux à Noël, quoique notre Grinch en dise...

  Les bonnes années, à Noël, il ramassait avec empressement tous les sacs, rubans, boites et allait les jeter sans tarder.  Chaque cadeau déballé était monté dans notre chambre dès que nous avions le dos tourné.  Le fun de jouer en pyjama à terre avec les cadeaux au milieu du bordel de papiers d'emballage et de boites surmontées de choux, très peu chez nous, merci.  C'était sérieux, Noel, on ne riait pas avec ça.

  Ha!  Et les repas de Noel que ma mère, cordon bleu, avait longuement préparés, il nous en a gâché plusieurs, notre Grinch!  Il pouvait partir un monologue haineux sur à peu près n'importe quel sujet, en particulier des films qu'il n'avait pas vus et des livres qu'il n'avait lus.

  Mais n'étant pas si méchant que ça, durant le Temps des Fêtes, il se retenait de casser des verres ou mes disques comme il le faisait quelques fois le reste de l'année.  Pas de claques ni de serrage de bras à Noel non plus, merci Petit Jésus.  Mais pour le dénigrement de ma mère et moi, ses punching-bags psychologiques préférés, pas de problèmes, il y en avait à l'année longue.  Même adulte, je suis souvent partie de chez mes parents immédiatement après Noel, triste et fâchée de m'être encore une fois laissée atteindre par sa méchanceté.  Et je souhaitais un jour fêter Noel sans conflits ni mépris, ce que j'ai maintenant trouvé auprès de mes amis et de ma tante.

  C'est plus tard, beaucoup plus tard que j'ai compris comment on fabriquait un Grinch.  Prenez une crise économique, que dis-je, LA Crise Économique, une mère au mental fêlé par la vie, obsessive-compulsive ( comme sa mère adoptive) et seule en charge de ses quatre fils ( dont un mourrera de négligence dans une famille d'accueil à dix ans).  Donnez aux fils survivants une enfance complète à manquer de ben des affaires et à subir la violence des autres.  Ajoutez des litres de larmes retenues, de colère ravalée et de sentiment d'injustice...  Car ils avaient été riches avant la crise, avant la faillite, l'alcoolisme puis le départ du père.  Leur vie n'était pas ce qu'elle aurait dû être.

  J'éprouve parfois pour mon défunt père de la compassion, mais sans oubli ni pardon.  Peut-être un jour. 

  J'avais sa maladie, bien utile pour réussir son cours de médecine, mais garante d'une vie malheureuse pour soi-même et les gens autour de soi.  J'ai été chercher de l'aide et je suis heureuse, par moments de plus en plus fréquents malgré le décès de mon âme soeur, mon Joel.

  Si pour vous le besoin d'ordre prime sur l'amour, si la recherche de la perfection vous amène conflits et blessures, si quelque chose ou quelqu'un dans votre tête vous fait passer l'aspirateur trois fois le jour de Noël plutôt que d'apprécier la compagnie de votre famille et vos amis, puissiez-vous, comme le Grinch,  entendre la petite chanson de Noël aux paroles bizarres.  Puisse celle-ci vous mettre les larmes aux yeux et vous convaincre de trouver la force de changer et de guérir.  L'aide existe...

 

  Joyeux Noël 2020!!!

  Matante Valérie

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